04 mars 2013

Sales gosses

Collaboration photo avec Jarco



La fureur de vivre (mais pas trop fort non plus)

A cette heure-ci, Claire devait l'attendre à la maison. La culpabilité l'étreignit l'espace d'un instant, mais l'inexprimable perfection des seins de Lucille dissipa aussitôt ce sentiment désagréable. Il l'attira à lui et l'embrassa pour se vider l'esprit. Le goût de la MD sur ses lèvres le répugnait et l'enfiévrait à la fois. Il aurait voulu enchaîner cette fille, la retenir prisonnière dans un bateau pour une croisière de baise qui n'aurait pas de fin. Mais il ne l'aimait pas. 


A vrai dire, à la regarder, il en venait même à la détester. Cette pute beauf n'avait même pas eu la décence de choisir un fond de teint adapté à sa carnation. Quelle fin de race. Cette chienne superflue, stupidement consentante. Elle en laissait des traces beigeasses sur sa chemise Carven. Claire l'aurait détestée, à coup sûr.

Eh merde, ne pas penser à Claire. Claire et ses yeux dorés. Ne pas penser à Claire. Claire et ses émouvantes colères. Ne pas penser à Claire. Ne pas penser, tout court.

Ses caresses sur le corps parfait et lisse de Lucille lui tenaient lieu de thérapie. Elles étaient une affirmation de son essence d'homme, une provocation aussi, un peu, envers toutes les lois et tous les dieux du monde, dont le silence l'effrayait ; et le regard idiot et passionné de cette gourdasse l'apaisait et pansait ses blessures. Il pensa à lui-même comme à l'Humain trop humain, un être d'une insupportable légèreté forcé de s'ancrer à la Terre par le biais du vagin de toutes les sottes potentiellement baisables qui croisaient son chemin. 
Un fils de pute en forme de bulle, trop fragile pour s'exposer aux vents incertains de l'amour aveugle et absolu qui lui avait mis tellement cher par le passé.

 Claire, elle, disait que quand on aime, il faut aimer comme si l'on n'avait jamais souffert auparavant, parce que sinon, ça ne sert à rien. Elle disait qu'un amour en demi-teinte était une putain de perte de temps.




La vengeance est un plat qui refroidit vite.
 
On hésitait entre plusieurs noms pour notre gang. Et puis finalement on a décidé de ne pas lui donner de nom. On n'avait pas que ça à foutre. Il fallait qu'on commence notre mission d'éradication. 
Elle était simple : exterminer un à un tous les trous du cul qui avaient élargi le nôtre en nous enculant profond. Le hasard avait voulu qu'il n'y ait pas de garçons dans notre bande, mais ce n'était pas volontaire : pas besoin de pénis pour enculer son monde, certaines femmes s'y prennent tout aussi bien.

On était sept. Le mec de Valentine avait couché avec toutes les serveuses du bar où elle travaillait ; onze filles au total. Elles s'en étaient aperçues lors d'une discussion de meufs où elles s'étaient rendues compte qu'elles avaient toutes la chlamydia. Lola avait quitté son fiancé lorsque ce dernier avait mis sa soeur enceinte. Il s'était aussi avéré qu'il était professionnellement plus proche de Tony Montana que de l'Adrien Deume de Belle du Seigneur.  Iseult et Gabrielle détestaient toutes les deux un dénommé Ulysse qui, marié à la première, s'était fiancé à la seconde sans qu'elle ne sache rien de sa double vie. Il se montrait par-dessus le marché violent envers elles et ses enfants. Et caetera.

Quant à moi, histoire classique. Pédé de Gaspard. Pour la première fois, j'étais amoureuse pour de vrai, et quand je dis pour de vrai, c'était : TNT dans le bide qui fait tressauter le coeur et dynamite le cerveau. J'étais devenue une de ces connasses énamourées capables de claquer la moitié de leur paye dans un cadeau de Saint Valentin désespérant en forme de coeur - sans savoir que ce symbole romantique absolu ne représente rien d'autre qu'un boule féminin retourné.
Bien évidemment, l'idée qu'il ait couché avec la moitié des filles qui gravitaient autour de lui me donnait régulièrement des coups de chlass dans le moral, mais comme toutes les gourdes post-adolescentes, je me félicitais d'être celle qui l'avait transformé. Il me disait souvent que j'étais son unique amour, celle qui l'avait rendu heureux, et plus il les répétait, plus ces paroles doucereuses endormaient ma méfiance et anesthésiaient mon esprit critique.

 Evidemment, j'ai compris plus tard que ce fils de pute était gay à pisser du poppers, qu'il se faisait déboîter à une fréquence supérieure à celle de Sliimy, et que ça ne l'avait pas empêché de coucher AUSSI avec mes copines parce que bon, c'est toujours ça de pris après tout. 
 
J'ai déposé une annonce dans un journal local que j'ai sobrement intitulé : "Groupe de vengeance". Six filles se sont présentées. Nous avons réfléchi aux différentes solutions pour prendre notre revanche sur ces fils de chienne : coucher avec tous leurs potes, avec leur père, avec leur chien, les pourrir auprès de leur famille et de leurs employeurs, procéder à un affichage sauvage de posters géants détaillant leurs putasseries dans toutes les rues de la ville, embaucher des Albanais pour leur défoncer la gueule... Et puis à force de tergiverser, on a dû se rendre à l'évidence : la solution la plus satisfaisante restait de les supprimer. 

Les refroidir un par un était le meilleur des défouloirs, et ça a même fini par devenir un jeu. 
Le gang, qui s'agrandissait avec le temps, n'était pas encore très célèbre, mais le bouche à oreille commençait à fonctionner. Quelques connards de notre connaissance, rendus craintifs par nos opérations sanglantes, apprenaient peu à peu à surveiller leur comportement.

Pour moi, le jeu ne devait pas durer. Un soir de mission, dans un appartement bordélique bordelais, j'ai rencontré Armand, un des ex de Gaëlle qui lui avait brisé le coeur au lycée. Je devais l'égorger dans son sommeil mais il avait de longs cils et sentait la cannelle. On s'est enfuis tous les deux. On habite quelque part en Italie et on s'aime comme on n'avait jamais aimé personne.

Je crois bien qu'Armand et moi sommes les prochains sur la kill-list des putes vengeresses, mais peu importe. L'amour est destiné à s'éteindre un jour, et plus souvent dans le sang et les larmes qu'avec un contrat de consentement mutuel et une poignée de main chaleureuse.  Morts, on risquera moins de se briser le coeur.



 Wolf Alice - Fluffy

Rodriguo Rodriguez 

 Rodriguo Rodriguez avait les yeux bleus délavés, mais on aurait tout aussi bien pu dire qu'ils étaient noirs. Son regard, plein d'orgueil ombrageux et de craintive fragilité, son regard de prince déchu enculait la terre entière.

Rodriguo Rodriguez avait la nonchalance alanguie des gens trop fiers pour s'enflammer et risquer la défaite, mais en lui bouillonnait l'ardeur de la passion qu'il redoutait et vénérait par-dessus tout, et dont il se réclamait souvent à qui voulait l'entendre. 
Il était trop riche, trop intelligent pour être pleinement heureux. Mais à quoi bon être heureux lorsqu'on peut être grand? 

Le poids de l'honneur, de l'hérédité, de la piété filiale pesait continuellement sur ses épaules, et il le portait avec bravoure et panache, bien que parfois le courage lui fit défaut et le forçât à fuir ; dans ces moments-là, malgré les excuses que sa fierté lui trouvait, il en venait à se haïr - pire : à se mépriser lui-même. 
Il se voyait comme un homme plein d'avenir, destiné à foutre en l'air ses doutes et ses faiblesses, à se battre pour ses valeurs afin de prouver la sienne, à montrer au monde, aux femmes, à ses parents et à lui-même qu'il maîtrisait sa vie et la menait d'une main assurée. 
Pour moi, il était  un enfant perdu et sublime, complètement dépassé par la violence de ses tempêtes intérieures. C'était un beau fils de pute qui possédait l'une des âmes les plus pures que j'aie jamais rencontrées. Son sourire était éteint mais la lumière dans ses yeux était bien là, vibrante. 
Le fait de ne pas pouvoir tout contrôler l'angoissait mortellement (il me détesterait d'avoir écrit ça). Il dissimulait sa peur des autres derrière une gouaille bravache ou des sentences laconiques, selon l'humeur. Il brisait des coeurs et ramassait les morceaux pour réparer le sien. Le loup dans la bergerie et la brebis dans la cage aux fauves.

 C'était un gosse, un sale gosse qui jouait à l'adulte parce qu'il savait qu'il avait du talent, que le monde n'était pas si difficile à conquérir et que rien n'avait vraiment d'importance qui n'était pas fait avec rage et passion. Imaginez-le à seize ans arpenter les rues de la ville : un gramme dans le nez, trois grammes dans le sang, du sang sur les mains. Arrogant, exaspérant, incandescent. Ennemi juré de la tiédeur, de la vulgarité et de la demi-mesure. Lucifer 2.0, le porteur de lumière au pays des médiocres. Un poète sans le savoir car sa vie est son oeuvre, un chantre de l'amour pensant chanter la mort. 

Bye bye, Rodriguo Rodriguez. On ne se reverra sûrement pas mais je t'aimais bien.


 

Cupidon a le sida.

"The murkiest den,
The most opportune place, the strong'st suggestion,
Our worser genius can, shall never melt
Mine honour into lust." 
(Shakespeare, The Tempest - IV, 1.) 

(L'antre le plus sombre, le lieu le plus opportun, tout ce que notre mauvais génie peut nous proposer de pire, ne fera jamais fondre mon honneur en vil désir.) 

"Qui n’a pas vu la route, à l’aube entre deux rangées d’arbres, toute fraîche, toute vivante, ne sait pas ce que c’est que l’espérance. L’espérance est une détermination héroïque de l’âme, et sa plus haute forme est le désespoir surmonté.


On croit qu’il est facile d’espérer. Mais n’espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu’ils prennent faussement pour de l’espérance. L’espérance est un risque à courir, c’est même le risque des risques. L’espérance est la plus grande et la plus difficile victoire qu’un homme puisse remporter sur son âme…

On ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité, au prix de grands efforts. Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore.

Le démon de notre cœur s’appelle "À quoi bon!". 
L’enfer, c’est de ne plus aimer." 

(Georges Bernanos)

"We are ugly, but we have the music." 
(Leonard Cohen - Chelsea Hotel) 

Rouge 


Crédits photos : Arnaud Bianquis / http://mylofilife.tumblr.com/






 

ALIAT